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Covid 19 et culture : impacts et perspectives de sortie de crise 4/8

www.noocultures.info – Déclenchée en décembre 2019 à Wuhan, en Chine, la pandémie qui sévit partout sur la planète n’a pu faire l’objet d’aucune prévision ou prédiction de la part d’aucun analyste. Même les meilleurs scénaristes de Hollywood ne pouvaient l’imaginer ni dans sa densité ni dans son ampleur.  En l’espace de trois mois, la quasi-totalité de l’économie mondiale s’est retrouvée à l’arrêt. L’économie de la culture n’a pas échappé à cette nouvelle donne soudaine, profonde et d’une amplitude inégalée.

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Section 4 : Patrimoine

Traiter de l’impact économique du nouveau coronavirus sur la filière du patrimoine reviendrait à analyser l’influence de la pandémie sur les musées, les sites archéologiques, les monuments, les carnavals, les festivités traditionnelles etc. En effet, les différents types de patrimoine (culturels, naturels et mixtes) et les différentes catégories de patrimoine culturel (matériel et immatériel) ont été impactés par la crise sanitaire. La vie économique de cette filière culturelle est intrinsèquement tributaire des flux touristiques dans les milieux concernés et vice versa. Le tourisme et le patrimoine se nourrissent réciproquement et sont donc indissociables. Les activités touristiques ayant été mises à l’arrêt de par le monde, à cause des mesures prises par les pouvoirs publics dans le but de limiter la propagation du coronavirus, il est évident que l’économie de toute la filière se retrouve affaiblie.

Impact sur l’offre

Les musées sont représentatifs des établissements culturels offrant la possibilité à leurs visiteurs de profiter de l’accès à des biens patrimoniaux. L’analyse se concentre donc sur la théorie économique des musées. Les établissements muséaux remplissent à la fois une mission pédagogique (ou andragogique) et une mission de conservation et de préservation de biens jouissant d’une valeur culturelle ou historique voire contemporaine exceptionnelle. La définition de 2007 de l’ICOM (International Council of Museums – Conseil International des Musées) fait du musée «une institution permanente sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation» (Statut de l’ICOM, 2007, article 3)

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Ces établissements sont donc à but non lucratif. Par conséquent, il est difficile de parler d’une économie réelle. Les recettes propres générées par leurs diverses activités ont pour but de permettre de boucler leurs budgets principalement alimentés, selon leurs natures, par des fonds publics, les fondations ou des dons, afin de leur permettre de remplir avec efficacité les missions à eux assignées. La gratuité des visites prônées par certains musées réduit davantage la part de la billetterie dans leurs budgets. Toutefois, l’économie a réussi à s’introduire dans certains de ces établissements. Les musées dits « musées superstars » ont émergé dans la plupart des villes occidentales telles que Paris (Centre Pompidou), Madrid (Prado), San Francisco (Exploratorium) etc. avec d’importants capitaux  investis et qui semblent orientés, entre autres, vers un but commercial.

Ainsi, depuis mars 2020, avec la fermeture des établissements culturels, décrétée dans plusieurs pays   du fait de la crise sanitaire, les musées ont été également touchés. Une récente enquête de l’UNESCO avance le chiffre de 90% des musées fermés sur toute l’étendue de la planète. Néanmoins, ils sont nombreux à proposer des visites virtuelles, grâce à leurs plateformes numériques. Il s’agit de prestations gratuites pour la plupart. Les professionnels tels que les guides, les médiateurs, etc. ont été peu sollicités sur la période. Cette gratuité de la culture observée sur cette période amène certains professionnels et institutions à attirer l’attention du public sur le risque de banalisation de la culture qui tend à être considérée comme un bien libre alors des coûts importants y sont liés. D’autres invitent le monde de la culture à inventer un nouveau modèle économique pour certains domaines dont le rôle a été très apprécié pendant le confinement.

D’ordinaire, les revenus des musées sont constitués d’une partie quasi fixe (subvention) reçue des structures publiques de tutelle ou de fondations ou de mécènes et d’une partie variable générée par leurs activités ordinaires. Le modèle dominant est donc de type y = ax + b (où b désigne les subventions, a les tarifs appliqués, x le niveau d’activité et y les revenus).

Dans les musées pratiquant la gratuité des visites, l’impact de la crise n’est pas grand, toute chose étant égale par ailleurs. Le risque à ce niveau viendra des fournisseurs de subventions dont les ressources auraient été négativement touchées par la crise et qui seraient obligées de les répercuter sur les bénéficiaires desdites subventions.

Par contre, les établissements dont les ressources propres représentent une part significative de leurs budgets rencontreront des difficultés à cause de la baisse drastique voire la perte de la partie variable de leurs ressources financières. Ces établissements devront être soutenus pour compenser cette perte.

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Impact sur la demande

Les visiteurs des musées sont essentiellement constitués de touristes, de scolaires, de chercheurs et de ménages. Le besoin de visite des sites patrimoniaux s’est accru pendant la période de confinement. A défaut de pouvoir se rendre sur les sites, les visiteurs se sont orientés vers les visites virtuelles proposées par certains établissements. Il est vrai que le voyage virtuel ne saurait entièrement se substituer à l’expérience de la visite in situ. Néanmoins, il comble tout de même partiellement cette quête de culture et de savoir exprimée par des populations à mobilité réduite par la crise sanitaire.

Le numérique permet également d’offrir également des  prestations traditionnellement réservées aux guides. Ce changement constaté dans les habitudes d’accès à la culture pourrait avoir un impact sur cette profession si la tendance se maintient à long terme. L’usage du multimédia dans le domaine du patrimoine pourrait démocratiser le mode de d’accès et bouleverser profondément les us et coutumes dans le domaine, avec des conséquences négatives sur les flux financiers de la filière. Ces conséquences pourraient être atténuées si les établissements offrant ce type de visite virtuelle réussissaient à inventer un modèle économique y afférent. Ainsi, au lieu d’être une source d’inquiétude pour l’économie de la filière, les visites virtuelles deviendraient une source de revenus additionnelle, une offre à part entière destinée à un segment bien précis.

Il faut également espérer que les nouveaux visiteurs virtuels qui auront fait l’expérience de l’accès au patrimoine pendant le confinement y prennent goût au point de vouloir rendre ces visites plus concrètes en allant visiter les sites ultérieurement. La filière aura gagné une clientèle nouvelle grâce au confinement. Si cela se répète, les visites virtuelles deviendront ainsi un prélude aux visites réelles.

Perspectives de reprise

Pendant que l’on assiste au déconfinement progressif dans la plupart des pays, les établissements culturels, dont les musées, ne connaissent qu’une timide reprise de leurs activités. Pourtant, les activités de ces établissements ne comportent pas plus de risque de propagation du nouveau coronavirus que ceux des secteurs de l’éducation, des transports etc. dont l’ouverture est graduellement décidée un peu partout.

Dans le domaine du patrimoine également, les perspectives de sortie de crise seront envisagées selon trois scenarii.

Scénario 1 : Courbe des revenus des musées en forme de la lettre J couchée (pessimiste) : chute des revenus de la billeterie et réduction des subventions

L’arrêt des activités économiques dû à la crise sanitaire provoquée par le nouveau coronavirus a entraîné une baisse des recettes fiscales. Pour relancer la vie économique, les pouvoirs publics ont besoin de ressources à injecter les divers circuits économiques touchés par la crise. Ils seront tentés par l’idée de réduire les subventions aux secteurs jugés non productifs. Or la culture fait partie des secteurs auxquels les autorités ont tendance à penser en période de restriction budgétaire. Il est probable que ce soit encore le cas, si rien n’est fait pour les en empêcher. Les arguments pour ce faire ne manquent pas :

– la culture, y compris le patrimoine, ont contribué à la résilience face à la crise en permettant aux populations confinées d’effectuer des voyages virtuels pour meubler le temps et se remonter le moral ;

– la maintenance des biens patrimoniaux requiert des expertises spécifiques pas toujours disponibles à bas coûts ;

– le patrimoine fait partie des offres touristiques qui entraînent des rentrées de recettes fiscales et participent à l’attractivité des destinations ;

– les recettes propres des établissements muséaux ont été durablement réduites par la crise sanitaire qui prévaut ;

– la préservation des biens patrimoniaux pour les générations futures devrait échapper à toutes logiques de restriction économique et financière.

Graphique 1 : Revenus  des musées en cas d’interdiction de réouverture à court terme

 

Légende :

En mars, les musées ont subitement perdu la partie variable de leurs revenus. Cette partie est constituée de recette de la billetterie, des produits dérivés et autres prestations marchandes fournies à leurs clientèles. Seule la partie fixe (ou quasi fixe) de leurs revenus pourra leur permettre de couvrir une partie de leurs charges qui sont susceptibles d’augmenter malgré ou à cause de la fermeture. Si, comme le craignent des professionnels du secteur, les subventions accordées aux musées devaient connaitre une baisse, du fait de la crise économique anticipée par les analystes, il serait  à craindre que les établissements muséaux se retrouvassent dans une situation critique. En effet, une bonne partie des dépenses de ces établissements est incompressible. Elle est essentiellement consacrée à la maintenance des biens qui, sans cela, risquent de se dégrader. Or il est de notoriété publique que la maintenance des biens patrimoniaux est assez onéreuse.

 

 

Scénario 2 : Courbe des revenus en forme de la lettre V très aplatie (optimiste) : réouverture des établissements patrimoniaux à court terme

Avec la reprise des activités économiques, les musées pourraient être autorisés à rouvrir mais sous la contrainte du respect des gestes barrières tels que le port de masque ; le lavage systématique des mains et la distanciation sociale, le port de masques. La fréquentation des musées pourra être contrôlée afin d’éviter une concentration de visiteurs à l’intérieur. Certains  petits musées autorisés à rouvrir expérimentent déjà certains de ces gestes.

Dans ce contexte, les musées ne retrouveront pas dans l’immédiat leur taux fréquentation d’antan. A l’instar des salles de spectacles, le retour au musée sera  graduel et suivra  également la courbe de diffusion de l’innovation de E. Rogers avec des « innovateurs » (2,5%), des « premiers adeptes » (13%), la « majorité précoces » (34%), la « majorité tardive » (34%) et des « retardataires » (16%). Ces pourcentages sont à appliqués aux nombres de spectateurs antérieurs à la crise.

 

 

Graphique 2 : Revenus  des musées en cas  de réouverture à court terme

Légende :

Avec le déconfinement qui s’observe dans plusieurs pays, il est probable que les musées soient autorisés à rouvrir avec les activités touristiques. Le patrimoine ne saurait rester en marge de la saison touristique que l’on cherche à sauver dans plusieurs pays. Même dans ce contexte, les musées pourront difficilement compenser la perte de la partie de leurs revenus directement générée par leurs prestations. Leur système de tarification ne se prête pas à une hausse automatique des tarifs du fait de la réduction de la taille du public accepté à l’intérieur.

 

 

 

Scénario 3 : Courbe des revenus en forme de la lettre W aplatie (probable) : alternance entre reprises et fermetures

La probabilité d’une seconde vague d’épidémie n’est toujours pas écartée par les spécialistes en épidémiologie, même si certains d’entre eux anticipent une fin définitive de la crise en raison de ce qu’ils désignent sous le vocable d’ « immunité croisée ». En supposant que les musées redémarrent et s’arrêtent au rythme de cette épidémie, on pourrait anticiper une succession de redémarrages et de chutes des revenus, comme dans le cas des arts de la scène évoqué dans une section antérieure. Il en découle donc une multiplication de la courbe du scénario 2.

 

 

 

Graphique 3 : Revenus  des établissements muséaux en cas  de réouverture à court terme suivie de fermeture

 

 

Légende :

Les revenus générés par le patrimoine pourraient repartir à la hausse avec la saison touristique qui s’annonce mais timidement. En cas de rechute de l’épidémie, une fermeture devrait être anticipée avec pour conséquence, la baisse des revenus propres.

 

 

 

 

Conclusion partielle

Peu d’établissements muséaux fonctionnent uniquement avec les revenus générés par leurs activités. Ces derniers représentent, dans le meilleur des cas, la moitié de leurs budgets. Il y a donc une forte dépendance des musées vis-à-vis des subventions et dons, qu’ils proviennent des fonds publics, des fondations ou des mécènes. La baisse drastique des activités économiques observée de par le monde ne manquera pas d’avoir des répercussions sur les recettes fiscales qui alimentent les fonds publics et les ressources des fondations généralement constituées de revenus de capitaux investis. Il est donc à craindre que les deux principales sources de revenus des musées, à défaut de tarir, souffrent d’une baisse de niveau.

A contrario, les besoins financiers des établissements muséaux sont généralement incompressibles car constitués, pour l’essentiel, de dépenses qu’on ne peut réduire sans porter atteinte à l’intégrité des biens patrimoniaux conservés. Et ces biens, une fois altérés, sont irremplaçables. Il est donc impérieux d’attirer l’attention des pouvoirs et de l’opinion publics sur la nécessité de non seulement conserver les niveaux de subvention accordée avant la crise mais aussi de les augmenter afin de permettre à ces derniers de compenser la perte des revenus propres. La préservation du patrimoine en dépend.

A SUIVRE…….

Par William CODJO, Expert en gouvernance et économie de la culture ©www.noocultures.info
illustration : La statue de la libération de l’esclavage sur l’île de Gorée au Sénégal ©EA/Noocultures

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