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Covid 19 et culture : impacts et perspectives de sortie de crise 6/8

www.noocultures.info – Déclenchée en décembre 2019 à Wuhan, en Chine, la pandémie qui sévit partout sur la planète n’a pu faire l’objet d’aucune prévision ou prédiction de la part d’aucun analyste. Même les meilleurs scénaristes de Hollywood ne pouvaient l’imaginer ni dans sa densité ni dans son ampleur.  En l’espace de trois mois, la quasi-totalité de l’économie mondiale s’est retrouvée à l’arrêt. L’économie de la culture n’a pas échappé à cette nouvelle donne soudaine, profonde et d’une amplitude inégalée.

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Section 6 : Arts visuels

Parler du marché des arts visuels, c’est décrire les flux économiques et financiers autour des filières telles la peinture, la photographie, la sculpture, etc. Les transactions portent aussi bien sur les œuvres contemporaines que sur celles d’artistes qui ont vécu. Le marché de l’art avant la crise sanitaire, depuis 2015, a connu une croissance phénoménale au plan mondial. En effet, la crise économique et financière de 2008 a poussé les investisseurs à davantage s’intéresser au marché de l’art. Il est ainsi devenu une valeur refuge pour des collectionneurs et autres  agents économiques en quête de rentabilité à deux chiffres sur le moyen terme.

Ainsi, ce marché dominé par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Chine, a vu les prix atteindre des sommes stratosphériques ces dernières années. « Les Femmes d’Alger » de Picasso atteint la somme record de $175M (Christies, mai 2015), tandis qu’en 2017, le « Salvator Mundi » attribué à Léonard de Vinci s’acquiert pour $450M. «  En 2018, on notait une croissance de +4% du marché de l’art au niveau mondial et ceci pour la troisième année consécutive avec un volume de 539.000 lots vendus, mené par les échanges d’œuvres contemporaines », selon Thierry Rayer.  L’art africain aussi se fraie un chemin sur ce marché qui connait une embellie ces dernières années, même s’il faut aller à New York, Londres ou Paris pour noter cette tendance.

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La crise sanitaire du nouveau coronavirus a brisé cet élan en peignant en noir le tableau dont les collectionneurs et les galeristes étaient les principaux personnages. Toutefois, on note une réorganisation de la profession autour du numérique qui, depuis le début de la crise sanitaire, joue un important rôle tant au niveau de l’offre que de la demande et pour cause : le secteur avait déjà entamé son virage numérique depuis quelques années.

Impact sur l’offre

Galeries fermées, maisons d’enchères aux portes closes, commissaires-priseurs au chômage technique, salons et foires de printemps annulés ou renvoyés aux calendes grecques. Telle est l’image que présente la filière des arts visuels. A l’image de l’ensemble des secteurs économiques, le monde de l’art, qui pèse quelques 14 milliards d’euros annuels, est à l’arrêt. C’est une  dure épreuve  pour les galeristes dont 30% à 80% du chiffre d’affaires repose sur les foires. On serait tenté de penser que le coronavirus a porté un coup fatal à ces professionnels. Heureusement, il faudra beaucoup plus pour détruire la résilience de ce secteur d’activité. Il a entrepris sa mue numérique bien en amont de la crise.

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Les catalogues en ligne, qui permettent aux acheteurs de faire leur choix, ne datent pas d’hier mais la crise sanitaire a provoqué un regain d’intérêt.   Il est désormais courant de découvrir les œuvres dans des « online viewing rooms » (augmentation de 400% des ventes en ligne depuis 2017 pour la galerie David Zwirner). Les livraisons ont été différées certes mais elles ne tarderont pas à se faire  avec l’assouplissement des mesures de confinement observé un peu partout. Une chose est certaine : nous sommes à l’orée  d’une nouvelle ère, celle du marché de l’art 2.0.

En Afrique, l’impact économique de la crise sanitaire sur le marché de l’art est encore plus lourd. Il existe peu de galeries sur le continent. Les œuvres et les artistes les plus côtés sont contraints de participer aux foires qui s’organisent au printemps en Europe et aux Etats-Unis. Tous ces événements ont été annulés, privant ainsi ces artistes de leur principale source de revenus. Le marché local est encore en phase de construction, en dehors de l’Afrique du sud où il est en plein essor. Il est difficile de l’utiliser comme un substitut au marché extérieur.

Par contre, la période du confinement a été, pour beaucoup d’artistes, une sorte de résidence de création. Les réseaux sociaux ont servi de vitrine pour les créations de plusieurs d’entre eux, de Dakar à Nairobi et de Cape-Town à Alger.  Les galeristes qui se battent pour la construction d’un marché de l’art sur le continent sont confrontés à d’énormes difficultés qui devraient davantage retenir l’attention des décideurs.

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Impact sur la demande

Quand on est soucieux de sa santé, peut-on penser à l’acquisition d’œuvres d’art ? Telle est la question que l’on est en droit de se poser. La particularité du nouveau coronavirus est  qu’il circule au sein et entre toutes les classes sociales. Les collectionneurs, qui constituent l’essentiel de la demande de l’art, sont également concernés par cette pandémie. La demande s’est donc rétractée. Les visites de sites de galeries se font de plus en plus virtuellement.

La conjoncture actuelle sur le marché de l’art ne saurait s’éterniser. Un rebond est à anticiper à court terme, avec le déconfinement qui s’opère un peu partout. Dans un premier temps, les collectionneurs qui ont différé leurs acquisitions sont dans les starting-blocks. Ils devront intervenir pour rattraper le temps perdu. Dans un second temps, ce sera le tour des spéculateurs. En effet, en période de crise économique, les œuvres ont tendance à être prises pour des valeurs refuges. Bien des analystes prévoient une crise économique, consécutivement à la crise sanitaire. Il est donc probable que le marché de l’art au plan mondial, draine les investissements qui auront du mal à trouver la rentabilité recherchée ailleurs.

De plus, il a été noté dans plusieurs pays que des plans de relance ont été également prévus pour les arts visuels. Des programmes d’achats publics sont prévus. Des exonérations fiscales sont conseillées. La défiscalisation des acquisitions sont suggérées. Tout ceci ne manquera pas d’avoir un impact positif sur la demande et générer des externalités heureuses sur la création contemporaine et sur les artistes, par ricochet.

La demande d’œuvres d’art n’a pas été totalement à l’arrêt. Elle s’est rétractée certes mais elle  a continué à s’exprimer sur la Toile.  Les acquisitions continuent de s’opérer virtuellement. Malheureusement les tarifs du transport des œuvres ont connu une hausse vertigineuse pendant le confinement, les compagnies aériennes ayant suspendu leurs programmes de vols pour la plupart. Il n’a donc pas été possible pour les acquéreurs de se voir livrer les œuvres acquises. Le déconfinement en cours dans le monde favorisant la reprise des vols, il sera possible pour les œuvres de retrouver leur mobilité d’avant le déclenchement de la crise sanitaire.

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Perspectives de reprise

La réouverture des galeries est notée dans plusieurs pays. Les transactions in situ, qui sont jusqu’à présent les plus importantes en volumes et en valeur, devront redémarrer. Le marché de l’art étant un oligopole bilatéral, on est en présence de quelques acheteurs face à quelques vendeurs, en ce qui concerne les œuvres non contemporaines. La stabilité des prix ne risque pas d’être remise en cause par la crise sanitaire.

Les perspectives de sortie de crise pourront être abordées ici aussi en fonction de plusieurs scénarios.

Scénario 1 : Courbe des revenus en forme de L (pessimiste) : les collectionneurs ne se bousculent pas dans les galeries et préfèrent observer l’évolution de la pandémie

Avec la réouverture des salles, on pourrait anticiper une reprise des ventes dans les galeries. Toutefois, plusieurs événements générateurs de revenus pour les acteurs de la filière ont été annulés et ne seront pas réorganisés cette année. Dans l’hypothèse où les collectionneurs ne se remettent pas à arpenter les couloirs des galeries à court terme, préférant observer l’évolution de la pandémie pendant quelques mois encore, les revenus générés par le marché de l’art risquent de se retrouver à un de ses plus bas niveaux.

 

 

Graphique 1 : Revenus  des arts visuels pendant la crise sanitaire

 

 

 

Légende :

Ayant atteint un niveau très élevé au cours des cinq dernières années, les revenus générés par le marché de l’art a connu une chute brutale en mars 2020. Ce bas niveau des revenus risque d’être maintenu si les collectionneurs ne décident pas de soutenir le marché par des achats à court terme.

 

 

 

Scénario 2 : Courbe des revenus en escalier (optimiste) : effets conjugués des commandes publiques et privées

Les plans de relances fleurissent dans les pays où le marché de l’art connait habituellement un réel engouement. Des commandes publiques sont combinées avec les mesures fiscales pour éviter au marché de l’art de sombrer dans la crise sanitaire. Pendant ce temps, les collectionneurs aussi attendent la reprise des activités pour se remettre à l’œuvre. Les effets conjugués de ces deux groupes d’acteurs pourraient assurer au marché une reprise en cascade.

 

 

Graphique 2 : Revenus  du marché de l’art sous l’effet conjugué des achats publics et privés à la réouverture des marchés

 

 

Légende :

Les revenus générés par le marché de l’art avec l’impact des plans de relance et la reprise des transactions privées.

 

 

 

 

 

 

 

 

Conclusion partielle

Avec la crise sanitaire en cours, l’économie des arts visuels est profondément affaiblie. Toutefois, au regard de son important potentiel, une reprise vigoureuse pourrait être anticipée, à condition que des actions idoines soient initiées pour la soutenir. Ces actions pourraient être articulées en trois catégories :

– un soutien de la part des acteurs du marché ;

– des mesures publiques liées à l’acquisition des œuvres d’art ;

– des dispositifs incitatifs à créer ou à renforcer.

A SUIVRE…….

Par William CODJO, Expert en gouvernance et économie de la culture ©www.noocultures.info

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