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Interviews croisées : La critique cinématographique vue par Olivier Barlet et Fatou Kiné Sene

www.noocultures.info – Critiquer un film, qu’est-ce exactement ? A l’occasion des 30è Journées Cinématographiques de Carthage (JCC), session Nejib Ayed, Fatou Kine Sene, présidente de la Fédération Africaine de la Critique cinématographique (FACC) et Olivier Barlet, responsable éditorial cinéma à Africultures ont donné leur point de vue sur cette épineuse question.

Noocultures.info : Que comprendre par « critiquer un film » ?

Fatou Kine Sene : Critiquer un film, c’est donner son point de vue sur le regard d’un réalisateur. Les films que le réalisateur propose et qui sont projetés à l’écran, représentent son regard sur un fait, un phénomène bien déterminé. Et nous, critiques, on essaye de donner une opinion par rapport à ce regard. On aborde ainsi la narration et les éléments techniques du film en se basant sur des films déjà regardés.

Fatou Kine Sene, critique de cinéma ©DR

Olivier Barlet : Savoir ce que c’est que la critique, c’est savoir ce que c’est que le cinéma, ce que c’est qu’un film. Il y a plusieurs types de films, du divertissement à la réflexion, qui peuvent d’ailleurs cohabiter dans le même film. Mais dans les deux cas, un film ne m’intéresse que s’il se formule comme une question et pas comme une solution. Je n’ai absolument pas envie qu’on me dise ce que je dois penser.

Ensuite, tout écrit, comme tout film, est subjectif, heureusement. L’objectivité serait un discours s’affichant comme vrai alors que la vérité est personnelle ou bien religieuse. Comme le souligne la philosophe des images Marie-José Mondzain, le mot critique vient du grec krisis qui veut dire la distinction, la séparation, la clarification, par opposition à krasis qui veut dire la confusion, le mélange. Et certainement pas du grec krima qui veut dire le jugement, le verdict. Il ne s’agit pas de dire « c’est bien, c’est mal » mais de partager en quoi le film me parle, ce qu’il me suggère, comment je comprends la question qu’il pose, et bien sûr aussi d’énoncer mes réticences si elles existent, en les justifiant. Etre critique, c’est prendre la parole, en s’appuyant sur sa culture et sa connaissance. Pour donner la parole à ceux qui lisent ou écoutent, les inviter à réagir, à débattre. C’est au fond construire une liberté.

Krisis veut dire la crise, celle qui est dans le film parce qu’il nous bouscule. L’art qui ne dérange pas n’est pas de l’art. C’est en cela qu’il propose un débat, appelle des éclairages multiples.

Ainsi présenté, tout le monde est critique de cinéma, à partir du moment où il commence par donner son avis sur un film ? Ou il faut être expérimenté ?

Fatou Kine Sene : On peut se dire critique n’importe  quand. Du moment où on donne un point de vue sur un film et qu’on l’argumente. Parce qu’on ne dit pas qu’on aime ou qu’on n’aime pas un film sans dire pourquoi et sur quelle base tu prends cette position. Il faut donc des arguments techniques cinématographiques et narratifs.

Des arguments qu’on acquiert avec le temps. Dans ce cas, à quel moment peut-on se dire critique de cinéma ? Après plusieurs années d’expérience ?

Olivier Barlet : Ce n’est pas une histoire d’expérience. C’est une histoire d’être clair avec soi-même et de bien comprendre son rôle. Ce n’est pas une question d’expérience mais c’est quand même une question de culture. La culture, on peut en avoir à n’importe quel âge, parce que c’est une ouverture d’esprit. Mais en permanence, il y a un travail. On est sans cesse confronté à des endroits où on hésite, où on n’est pas au clair, parce qu’il manque tel ou tel élément. Dès lors, c’est de la formation permanente, des lectures. Je lis ainsi beaucoup de philosophie pour nourrir mes écrits.

Olivier Barlet ©noocultures.info

Fatou Kine Sene : La critique ne s’apprend pas encore dans une école mais c’est au fil des ans qu’on acquiert de l’expérience dans la façon de regarder la séquence d’un film, de voir l’image projetée, la musique, et finalement cet assemblage entre images et musique et narration.

Mais à l’heure où nous avons peu de salles de cinéma et de festivals, comment les jeunes peuvent-ils avoir cette culture, cette expérience ?

Olivier Barlet : On fait avec ce qu’on a. Il y a internet déjà. On y trouve plein de critiques, plein d’articles très fondés sur tous sujets. Personnellement, je lis plein de critiques pour élargir ma vision, tout en essayant de ne pas en lire avant d’écrire sur un film particulier pour garder mon autonomie de réflexion.

La critique cinématographique en Afrique s’en trouve-t-elle renouvelée ?

Olivier Barlet : Oui, elle se renouvelle. Il y a une génération qui émerge et une structuration qui s’opère autour de la Fédération africaine de la critique et son site africine.org. Peut-être faut-il différencier une nouvelle génération d’excellents journalistes qui documentent le secteur et ceux qui s’adonnent vraiment à la critique et qui ont par contre du mal à trouver un espace médiatique. Etre critique demande en outre une certaine distance avec les réalisateurs pour garder sa liberté de ton. Mais il y a une nouvelle génération qui arrive et cela me fait très plaisir car je me suis beaucoup engagé dans la formation et avec Africultures le soutien logistique au niveau internet.

Fatou Kine Sene : Si, il y a un renouvellement de la critique cinématographique, surtout au niveau de la FACC. Il y a une nouvelle génération qui arrive et qui a envie de participer à cet élan de visibilité des cinémas africains. Ce qui est d’ailleurs l’objectif de la Fédération. Les cinémas africains ont longtemps été critiqués par des critiques hors du continent. Et en 2004, les critiques africains qui étaient ici en Tunisie sur les Journées Cinématographiques de Carthage avaient senti la nécessité de parler de nos films. Aujourd’hui, nous portons le flambeau à nous transmis. Et il y a une génération qui émerge mais elle a besoin de formation. C’est pourquoi à notre niveau, nous avons pris l’engagement d’organiser des formations à leur endroit.

Propos recueillis par Eustache AGBOTON ©www.noocultures.info

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