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La peinture, arme d’éducation massive d’El Marto, street artiste franco-burkinabè

www.noocultures.info – Lorsqu’il a été invité à laisser un mot sur la banderole affichée à la rédaction de Noocultures.info, El Marto n’a rien fait comme les précédents acteurs culturels de passage dans nos locaux. Feutre en mains, il entreprend de dessiner, plutôt que d’écrire. Comme il le dit, dessiner, c’est son monde. Mais, il le précise : son terrain de jeu, ce sont les murs. Ce street artiste franco-burkinabè, Grégory Dabilougou de son vrai nom, n’est plus un inconnu dans le milieu tant sa démarche est singulière et ses œuvres accrocheuses.  Interview découverte.

El Marto, comme nom d’artiste, c’est très viril non ?    

Je cherchais un blaze (les signatures en graffiti, ndlr) percutant. A la base il faut savoir que le graffiti, c’est un domaine où tu es un peu en concurrence, comme dans tous les domaines artistiques, mais dans la rue. Et ce qui compte, c’est l’impact, l’impression que tu laisses. Quand tu peins, tu graffes, tu as besoin d’une signature, d’un blaze et vu que c’est le plus souvent illégal, tu ne peux pas écrire ton nom. J’ai donc décidé de choisir Marto un peu comme le Marteau qui symbolise l’impact. «EL MARTO » s’est imposé quand je voulais créer un compte Facebook et que Marto existait déjà. Pour exprimer mon côté créatif, j’ai alors ajouté « EL ».

La rue, c’est chez vous, votre espace de travail. Comment en êtes-vous arrivé à la dompter ?

J’ai commencé au départ dans le domaine du graffiti, quand j’étais au lycée mais je ne voulais pas forcement bâtir une carrière artistique Cependant, j’ai toujours été dans la subculture, culture alternative. Je pratiquais le skateboard qui m’a amené à me familiariser avec la ville et prendre un peu cette dernière comme un grand terrain de jeu. Vers la fin des années 90, avec l’avènement du mouvement Hip Hop et de toutes les disciplines qui en découlent, je m’y suis initié. J’ai beaucoup dessiné à cette période.

Au début, c’était plutôt des lettrages, ensuite des personnages et tout comme avec le skateboard, ça m’a fait percevoir la ville différemment. Je me souviens la première fois que je suis arrivée à la Gare de Lyon, j’étais ébloui par cet amas de graffiti à travers la vitre du TER (Transport express régional, ndlr).

Et vous vous êtes dit que c’est que vous vouliez faire …

J’ai commencé à peindre dans les rues de manière illégal et à force de graffer, j’ai amélioré ma technique. Par la suite, j’ai eu des commandes de gens qui me demandait des réaliser des fresques sur leurs murs. Ce que j’adore avec l’intervention dans l’espace public, c’est le fait de rentrer dans le quotidien des gens. Il y a aussi ce côté engagé qui m’a plu. Dans cette société dirigée par l’argent, peindre dans la rue est pour moi de l’activisme, dans le sens où nous offrons nos créations à la population sans attendre des retours financiers, juste par passion.

Parlant d’espaces, comment les identifiez-vous ?

Par coup de cœur. Ces coups de foudre arrivent la plupart du temps par surprise.

J’ai un travail qui m’amène à me déplacer souvent dans la capitale et lors de ces déplacements, il arrive que je flash sur des murs que j’enregistre dans ma mémoire cérébrale !

Par la suite, je réalise une esquisse dans mon atelier, que je viens proposer au propriétaire du mur. J’ai très rarement des refus, généralement les habitants acceptent le projet.

Ensuite je n’ai plus qu’à me procurer de la peinture et au travail !

Ce coup de foudre que vous évoquez, qu’est-ce qui le déclenche en face d’un mur ?

Je ne cherche pas à faire de la décoration. Donc, j’essaie de faire en sorte qu’il y ait un dialogue entre ma fresque, l’environnement où elle est peinte et le mur. Par exemple, si on prend les nouveaux lotissements, je ne vais pas du tout les regarder. Mes murs de prédilection sont les vieux murs qui ont vécu, comportant plein de traces de vies. Je me souviens de ce mur que j’ai peint dans mon quartier, une maison tombée dont il restait un pan de mur où j’ai peint une princesse Yennenga.

C’est ce côté vestige qui apporte de la force à la peinture. Le coup de foudre implique aussi la taille évidemment. J’aime l’impact, le fait que ça soit vu par le plus grand nombre, j’ai hérité cela de mes années graffiti. Peindre des intérieurs, à part si c’est dès commandes, ne me procure aucun plaisir. J’ai besoin de partager mes fresques avec le public.

Qu’est-ce qui est le plus difficile pour vous dans votre métier ? trouver le mur idéal ? Rassembler les matériaux et la main d’œuvre ? Le sujet ?

Le plus difficile… Les Rentrée financières régulières sont aléatoires. Ce point nécessite d’être fort mentalement. Heureusement, mon métier est en même temps ma passion. Je pense même que cela va même plus loin, c’est devenu même une partie de moi. Ce qui fait que j’ai aujourd’hui besoin de réaliser des projets artistiques régulièrement, de dessiner. Certes l’argent est essentiel mais il y a quelque chose qui dépasse l’argent qui me donne la force de continuer. Sinon le plus dur pour un artiste, c’est de tout le temps se renouveler, trouver des nouveaux sujets, prendre des risques. Dernièrement, je me suis lancé dans une nouvelle pratique, le podcast, où je pars à la rencontre d’entrepreneurs du continent africain, on l’a intitulé Africansuperheros.

A part les murs, El Marto s’exprime-t-il à travers d’autres supports ?

Je viens d’être sélectionné pour la Biennale d’art contemporain de Dakar (Dak’Art, 14è édition du 19 mai au 21 juin 2022, ndlr) et je compte présenter des couvercles de pot de peinture avec des femmes africaines dessinées dessus. J’ai fait une série là-dessus et du coup ça rejoint le mur dans le sens où je me suis accaparé ce support qui vient avec moi à chaque peinture et c’est une manière de faire venir l’art urbain dans les musées et de sublimer cet objet qu’est le couvercle de pot de peinture.

Je n’ai pas de limite dans mes supports. Je dessine aussi bien sur des toiles, du papier, à l’ordinateur avec ma tablette graphique, même si mon support de prédilection reste le mur. On peut séparer ma pratique en deux, la pratique de studio, où je réponds à des commandes pour des sociétés, particuliers et ma pratique hors studio qui me fait sortir de ma zone de confort, qui m’amène à peindre des murs, réaliser des résidences artistiques à travers le continent africain. Les deux sont importantes dans ma vie.

J’ai fait aussi un peu d’édition. A ce propos, j’avais réalisé un BD reportage à Berlin sur un groupe militaire, une milice (le FDLR, front démocratique de libération du Rwanda) qui opérait des crimes au Congo dans la RDC. On avait fait une investigation d’une année. La collaboration entre un journaliste du bureau d’investigation allemand Correctiv, Frederik Richter et moi a abouti à un BD reportage. Cette BD a évoqué pas mal de thèmes relatifs à la colonisation allemande, à la complicité de l’Allemagne dans ces crimes commis par cette milice en hébergeant un criminel.

Ce projet a conduit aussi à une exposition multimédia à Ouagadougou au Kunstraumn 226, un espace éphémère créé par le Goethe Institut. C’était un sujet intéressant qui m’a pris beaucoup d’énergie, vraiment très nourrissant et ça m’a permis de mettre un pied dans le journalisme et aujourd’hui j’ai intégré l’organisation « Cartoning for peace » aux côtés de mon ami de longue date Damien Glez (dessinateur de presse franco-burkinabè, parolier et scénariste de séries télévisuelles). Grâce à cette organisation, on a pu réaliser de nombreux projets engagés au Burkina Faso notamment des projets en prison dont celle de la MACO et celle de Koudougou avec l’aide de l’association de l’artiste burkinabè Freeman. On était allé à Koudougou aussi et on a également exposé à l’Institut français pendant le festival Ciné Droit Libre. Pour résumer mon domaine d’action est très large, mais ce qui cimente toutes ces pratiques est le dessin.

Vous dites que vous aviez commencé par les lettrages. Mais El Marto aujourd’hui est vraiment reconnu pour ses fresques liées à l’actualité. Une évolution de vos inspirations ?

Oui, les choses ont vraiment évolué depuis le début. Au début, c’était des lettrages, aujourd’hui, c’est plutôt souvent des sujets d’actualités. J’ai fait une pièce par rapport à ce qui c’était passé au Fespaco sur les agressions contre la femme dans le cinéma, le mouvement « Même pas peur ». Aujourd’hui, je veux mettre en avant la force, la pugnacité des Hommes sur ce continent à faire face à l’adversité en dessinant des Africansuperheros, d’où le nom du podcast qu’on a créé avec un ami. A l’époque, où j’étais professeur d’Art plastique au lycée, je disais souvent à mes élèves que le but d’une vie, c’est de trouver ses superpouvoirs et une fois qu’on les a trouvés, on peut réaliser tous nos rêves, nos envies.

Les lettrages néanmoins, l’art de la lettre revient aujourd’hui. J’ai récemment réalisé un projet d’un mois où je me suis amusé à dessiner toutes les capitales africaines, où j’ai réalisé des illustrations combinant le graffiti et l’illustration. Ce projet s’intitule l’Afrique en Capitale.

Parlant de fresque liée à l’actualité, il y a celle en face de l’hôtel Pacific au centre-ville de Ouagadougou. Impressionnant….

Oui, Tantie Liberté ! La fresque fait environ 6 mètres de haut. C’est la plus grande peinture que j’ai faite jusqu’à présent. C’était vraiment un challenge, ça tombait bien, j’adore les défis. J’avais prévu un mois, mais finalement on mis seulement 10 jours à la faire. J’étais tellement concentré que je peignais tout les jours jusqu’à épuisement. Ça a été vraiment un moment inoubliable. Au départ, j’ai eu des appréhensions, je me posais des questions comment placer la tantie, la faire de bonne proportion, par où commencer, etc. C’était super flippant de peindre à cette hauteur aussi sur un échafaudage et au fur à mesure, comme à chaque fresque, j’ai contrôlé mes peurs, mes craintes et ça a été que du bonheur.

Pour la petite histoire, au départ, j’avais convaincu le propriétaire de peindre son mur qui je pensais correspondait à celui que j’ai peint. Mais en fait à la fin, il s’est avéré que le mur qu’il avait en tête était un petit mur juste à côté. Il a été cependant ravi du résultat et je suis toujours très fier quand je passe à côté de cette fresque. Cette fresque est d’autant plus importante par rapport au message qu’elle véhicule. J’ai peint cette fresque en hommage au peuple burkinabè qui fit preuve d’un fort élan citoyen, pacifique, le 30 octobre 2014 en décidant de réfuter catégoriquement la soumission d’une révision constitutionnelle visant à permettre à l’ancien dirigeant Blaise Compaoré de se représenter pour un cinquième mandat.

Pendant toute la réalisation, j’ai été accompagné par l’équipe de production Rasca prod., qui a réalisé une vidéo du making of de la peinture, Hervé Kiendrebeogo, mon assistant pendant la réalisation de la fresque et des partenaires comme Diacfa et le magasin Coral.

La symbolique ne s’arrête pas là. Il faut dire que la peinture se trouve à l’endroit où a eu lieu première attaque terroriste à Ouagadougou en 2016 …

Je devais peindre le mur le 16 janvier, donc le lendemain de l’attentat (le 15 janvier 2016, des hommes armés ont attaqué le bar Taxi Brousse, le restaurant Le Cappuccino et l’hôtel Splendid dans le centre de Ouagadougou, ndlr). Evidemment, je n’ai pas pu le peindre ce jour mais plus tard. Mais la peinture était la bienvenue car le pays avait besoin de positivité, de paix et elle été bien accueillie. Le voisinage était très chaleureux.

Avec le recul, avez-vous l’impression d’avoir africanisé votre démarche depuis votre installation au Burkina Faso en 2009 ?

Oui bien sûr, j’ai « africanisé » ma démarche du fait que j’ai posé mes valises depuis bientôt 14 ans à Ouagadougou et que la plupart de mes voyages aujourd’hui m’amènent dans des pays africains. Je reste néanmoins métisse, donc de doubles cultures et je pense que ça ressent toujours autant dans mon style graphique même si le fond aujourd’hui est africain !

 

Propos recueillis par Dzifa Amée Atifufu ©www.noocultures.info / mars 2022

Retranscription : Bibata Diallo Sanogo (Stagiaire)

Copyright / Photo de couverture : Rasca Prod.