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Le masque Batcham, joyau culturel du Cameroun

CAMEROUN – Il figure parmi les œuvres d’art les plus marquantes de l’identité culturelle du pays. Un masque avec une esthétique singulière et complexe qui fait de lui l’un des objets artistiques les plus convoités dans le monde.

En 1904, dans les hautes terres de l’Ouest du Cameroun alors sous occupation allemande, l’officier Von Wuthenow rencontre un jeune serviteur (Massidza) qui transporte un colis pour le roi. Après l’avoir interpellé, l’officier cherche à connaitre le contenu du colis, c’est un masque. Mais c’est un masque hors du commun et très différent des autres. En effet, ce masque est une représentation abstraite d’un visage humain, il se porte sur la tête comme un chapeau et peut aussi servir de chaise. C’est ainsi que le monde occidental découvre le masque Batcham, surnommé ainsi parce qu’il est découvert par le colon à Batcham, un village de l’Ouest du Cameroun.

Ce masque est très répandu dans cette zone montagneuse du Cameroun aussi appelée Grassfields. Il a commencé à être fabriqué à la fin du XIXème siècle par un artisan de renom appelé Nossapé Tafouo. Une copie du masque est ramenée en Allemagne et à partir de ce moment tous les masques qui sont fabriqués selon la même ergonomie sont surnommés « Batcham ». Du 13 novembre 1993 au 31 janvier 1994, lors d’une exposition consacrée à ce masque au Musée d’Arts africains, Océaniens, Amérindiens de Marseille, l’un des masques Batcham est vendu aux enchères à plus de 180 millions de francs FCFA. L’objet acquiert ainsi une renommée internationale sans pareil et se vend aujourd’hui aux enchères en millions de dollars.

Parfois appelé localement Tsesah ou Tukah, le masque « Batcham » se retrouve dans plusieurs villages de l’Ouest Cameroun : Bandjoun, Batoufam, Bana, Batcham, Bamendjo, Bangang, Fotabong. Chacun de ces villages ayant apporté au masque des touches uniques. Le Batcham représente un visage humain complètement réinterprété. Chose qui lui donne son unicité et sa complexité. A première vue, le masque est constitué d’un énorme front marqué par plusieurs stries, front servant de dossier pour celui qui s’assoit. Le reste du visage plus compact et volumineux représente les joues, le nez et la bouche. Cette partie est celle sur laquelle on peut s’assoir. Ensuite vient un cou qui est utilisé pour fixer le masque sur la tête de celui qui le porte ou qui sert de pied pour exposer le masque ou lorsqu’il est utilisé comme chaise.

De manière plus technique, le masque peut se lire en deux axes comme le souligne Jean Paul Notué, historien et anthropologue camerounais, dans l’ouvrage Batcham, Sculptures du Cameroun publié en marge de l’exposition marseillaise de 1993 : « Un plan vertical, formé de deux parties symétriques séparées par une crête médiane ; chaque demi-plan est décoré de sillons parallèles dessinant des arcs. Ces sillons, souvent remplacés par des losanges, correspondent à des sourcils démesurés, le front n’étant suggéré que par les deux bords supérieurs incurvés, parfois renflés en un bourrelet. Les yeux sont placés au niveau où s’articule le second plan. Ils peuvent être soit stylisés soit traités avec naturalisme en devenant de gros yeux semblables à ceux des batraciens ; dans chaque cas, ils ont toujours une fixité étrange et inquiétante, comme ouverts sur l’univers de la mort.

Un plan horizontal, composé de deux joues massives et proéminentes en demi-sphère, d’une bouche monstrueuse, ovale, aux dents multiples (comme une bouche de baleine avec ses fanons) figurées par des stries verticales. Les oreilles sont triangulaires ou semi-circulaires. Les narines arrondies, dilatées et projetées en avant sont perpendiculaires au plan du nez. »

Le masque Batcham est devenu au fil des années le masque du Cameroun le plus connu en Afrique et dans le monde. Mais cette œuvre d’art aujourd’hui très prisée par les musées et les collectionneurs d’art avait des fonctions bien restreintes dès les origines. Ces masques dont le style ancien remonte au XVIIIème siècle, servaient d’instruments de contrôle social. Ils appartenaient aux sociétés secrètes et permettaient de représenter la puissance et la position dans la hiérarchie sociale des grands notables. Selon Jean Paul Notué, ces objets ne sortaient qu’exceptionnellement pour célébrer l’intronisation et les deuils des grands dignitaires du royaume, et pour exécuter la danse tsO ou nzen, animée par des flûtes rituelles. Ces masques avaient donc une fonction politique mais aussi religieuse.

En plus de ces fonctions, ces objets étaient généralement très rares et produits par des personnes d’une lignée bien précise. D’ailleurs jusqu’en 1960 seuls trois de ces objets étaient connus en occident. Le premier ramené en Allemagne par Von Wuthenow, conservé au Museum Îlir Volkerkunde de Leipzig (sous le N° MAF 9.401) mais détruit durant la deuxième guerre mondiale lors des bombardements de la ville en 1943. La deuxième pièce, décrite par les experts comme étant « la plus étonnante et la plus réussie », appartient à la collection du musée Rietberg de Zürich (N° R.AF. 721), léguée par le baron Von Der Heydt. Le troisième masque fût photographié et collecté en 1925 par le pasteur Christol. A partir de 1961, une douzaine de nouvelles pièces, de styles distincts et de lieux de collectes divers, sont répertoriées. Aujourd’hui plusieurs copies de masques Batcham ont été créées pour la commercialisation.

A l’heure où la question de la restitution des œuvres d’art africaines est d’actualité, plusieurs masques Batcham originaux se trouvent encore dans des musées occidentaux et dans des collections privées. Même si plusieurs pays européens travaillent déjà sur un cadre légal de restitution des œuvres d’art africaines, le chemin est encore long et va nécessiter une plus grande volonté politique des pays dont les œuvres se trouvent en occident mais aussi par une coopération honnête entre les pays européens et africains.

A ce sujet, le professeur Oswald Padonou, politologue béninois, dit qu’« Il y a aussi aujourd’hui, de la part des dirigeants aussi bien en Europe qu’en Afrique, une sorte de convergence de vues sur la nécessité de faire évoluer la coopération entre l’Europe et l’Afrique. Et l’évolution de cette coopération ne peut s’inscrire que dans une démarche qui permet de solder, un peu, ce contentieux qui est un contentieux symbolique, mais qui est aussi un contentieux politique, car ces objets qui ont été emportés, ont été considérés comme des butins de guerre, alors que chacun sait la violence avec laquelle les peuples ont été dépossédés de ces biens-là. Ce qui pose encore le problème du retour des œuvres d’art africaines très souvent emportées dans les pays occidentaux par des moyens peu flatteurs. »

Il faudra donc attendre encore un peu avant que tous les masques Batcham retournent dans leur terre d’origine. Entre temps, ils continuent de susciter intérêt et convoitise de par le monde.

Rostand Wandja
Article classé 2è à l’issue du concours de production médiatique sur le patrimoine culturel camerounais. 
Dans le cadre du Projet « Journalistes Camerounais au Service du Patrimoine » co-organisé par la Route des Chefferies et le Programme NO’OCULTURES

Photo d’illustration : © Léo Delafontaine / Musée du quai Branly – Jacques Chirac

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