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« Faites vos poches, donnez-moi vos vis ! » : offensive armée

www.noocultures.info – « Contrairement aux États-Unis, la France contrôle le moyen d’accès aux armes à feu ». C’est souvent ce que l’on peut entendre lorsque surviennent, de manière régulière, des fusillades mortelles aux États-Unis. Ma connaissance en matière d’armes à feu s’arrêtait ici. Comme beaucoup d’autres citoyens français, j’ignorais que mon pays était l’un des principaux fabricants d’armes à feu de la planète – la France a vendu pour 9,1 milliards d’euros d’armes en 2018 – et qu’il se rendait complice de conflits armés partout où il vend ces objets de morts. J’ignorais que la France vendait des armes à des pays qui répriment des populations civiles ailleurs dans le monde. J’ignorais que du matériel français avait été utilisé par les forces de sécurité égyptiennes en 2013 pour réprimer la contestation contre le pouvoir. J’ignorais que la France vendait des armes à l’Arabie Saoudite qui servent à tuer des civils au Yémen. J’ignorais que la France violait les traités internationaux en termes de droits humains et se rendait complice de crimes de guerre. Ce spectacle m’a mis cette vérité en pleine figure.

Seule en scène, Lucie Ruda arrive en trombe sur le plateau pour effectuer une course frénétique qui plonge d’entrée de jeu le spectateur dans un état d’anxiété, dans une véritable inquiétude. Bientôt, on sait que la jeune femme  a été visée par une arme. C’est ce traumatisme originel qui est le point de départ de l’histoire. Tout au long de la pièce, le spectateur ressent en lui cette peur panique des armes.

C’est bien pour cette raison que l’expérience de spectateur est forte. Tout au long de la représentation, il a le sentiment d’être pris en otage. La comédienne le met face à ses propres responsabilités. En effet, les seules armes visibles ou suggérées sont mises entre les mains du spectateur. Soit qu’il s’agisse de conserver une boîte où se dissimule un flingue, soit qu’il faille enlever l’emballage d’un fusil, le spectateur, qui possède l’arme, devient l’otage d’une violence dont il peut, s’il adhère à la fiction, devenir acteur. Il éprouve en lui ce que c’est que de devoir cacher une arme ou d’en déballer une sous les ordres d’une personne qui exerce un pouvoir, sous les injonctions de la comédienne.

Ce spectacle ne s’achève pas avec la fin du spectacle. En effet, la comédienne distribue des textes que le spectateur peut envoyer à l’Élysée ou à un représentant de l’État. Dans des tracts qui dénoncent ce commerce de la France, le spectateur peut ajouter son propre nom, sa propre identité. Il peut donc devenir acteur du spectacle qu’il peut choisir de prolonger dans le réel par l’envoi de ce mot à un officiel de l’État.

Étant d’abord le drame personnel d’une femme qui a rencontré le monde des armes à feu, ce spectacle devient progressivement une diatribe, une virulente attaque contre l’hypocrisie et le mensonge de la parole publique, qui organise notre ignorance, et celle du chef de l’État, l’actuel, mais tous ceux qui, avant lui, ont laissé prospérer ce commerce, tous les présidents de la Ve qui tressent des lauriers aux « valeurs de la République » ou aux « droits de l’homme » tout en vendant des armes qui serviront à éliminer des populations civiles ailleurs sur la planète.

D’une portée à la fois politique et révolutionnaire, servi par un texte et une incarnation puissants, ce spectacle interroge le cœur de notre citoyenneté et nous laisse, à la sortie, devant cette complicité criminelle de la France, un goût de honte.

Faites vos poches, donnez-moi vos vis !
Texte : Hurcyle Gnonhoué
Interprétation : Lucie Ruda
Création collective : Lucile Chikitou, Théophile Sclavis, Hurcyle Gnonhoué, Mary Demesy
Création sonore : Naïma Delmond, Nathan Olivares
Compagnie Mosor
Crédit Photos : Maurace Ahouangnivo

Par Adrien Peiron (Collaboration) ©www.noocultures.info

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