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Covid 19 et culture : impacts et perspectives de sortie de crise 5/8

www.noocultures.info – Déclenchée en décembre 2019 à Wuhan, en Chine, la pandémie qui sévit partout sur la planète n’a pu faire l’objet d’aucune prévision ou prédiction de la part d’aucun analyste. Même les meilleurs scénaristes de Hollywood ne pouvaient l’imaginer ni dans sa densité ni dans son ampleur.  En l’espace de trois mois, la quasi-totalité de l’économie mondiale s’est retrouvée à l’arrêt. L’économie de la culture n’a pas échappé à cette nouvelle donne soudaine, profonde et d’une amplitude inégalée.

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Section 5 : Cinéma – audiovisuel

Le ciel s’est subitement assombri au-dessus des salles obscures, du fait de la crise sanitaire causée par le nouveau corona virus. Depuis mars 2020, un peu partout dans le monde, le grand écran ne cristallise plus la communion des passions et des émotions des cinéphiles et autres férus d’image et de son. Il a cédé la place aux petits écrans (téléviseurs, ordinateurs, tablettes et téléphones portables), entraînant dans son sillage, l’arrêt de toute une industrie et des flux financiers y afférents. Pendant ce temps, les modes de distribution alternatifs des productions cinématographiques, habituellement soumis au principe de « la chronologie des médias », ont connu un regain d’intérêt de la part des populations confinées et pour lesquelles les films, les séries, les programmes de télévisions sont devenus des objets de consommation quotidienne. Cette crise a donc impacté aussi bien les différents maillons de l’industrie du cinéma qui constituent l’offre que le comportement des « consommateurs » qui forment la demande.

Impact sur l’offre

Les festivals sont annulés, les salles de cinéma sont fermées, les tournages sont reportés et de nombreuses sociétés de production, de distribution et de ventes ont été dans l’obligation de se résoudre au télétravail. Les mesures prises par les pouvoirs publics un peu partout pour limiter la propagation du coronavirus ont lourdement impacté l’industrie du cinéma. On pourrait parler, à juste titre, d’un scénario catastrophe que vit le cinéma et ce n’est pas une fiction.

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Au niveau des exploitants, l’impact de la crise sanitaire est évident. Ils sont ceux qui reçoivent le public et ont été les premiers touchés par les mesures.  La Chine qui est le premier pays frappé par cette pandémie, a dû fermer 70 000 salles de cinéma pendant près de deux mois, entraînant des dommages situés entre 2 et 2,5 milliards de dollars, selon Ahmed Esad Sani. Aux Etats-Unis, l’industrie enregistre son plus bas chiffre d’affaires depuis l’attentat du 11 septembre 2001. La Corée du sud qui n’a pas confiné sa population n’a pas été épargnée non plus : 60% de cinéphiles en moins dans les salles, par rapport à la même période en 2019.

En France, 6.000 salles de cinéma ont été fermées, avec des pertes pouvant monter à 300 millions d’euros au niveau des exploitants seulement, si la crise se poursuit jusqu’en juillet. Même l’Afrique, où l’exploitation en salle est en phase de redémarrage depuis quelques années, a été touchée par la fermeture des salles de cinéma. Des initiatives innovantes ont été notées dans certains pays africains tels que le Burkina Faso, le Sénégal, la Tunisie via la télévision. Cette dernière constitue le mode de diffusion privilégié des images en Afrique, ces pays ont saisi l’occasion du confinement des populations pour mettre à leur disposition les films produits par leurs industries respectives. Le Ministre burkinabé en charge de la culture a précisé que ceci a été possible dans son pays grâce à un accord avec les détenteurs des droits qui ont renoncé à la perception de la somme de 500 millions de francs CFA, représentant les droits de diffusion de ces œuvres. Le Sénégal, au dire du Directeur de la cinématographie, en a aussi profité pour permettre au cinéma sénégalais de rencontrer son public local. Ceci pourrait augurer d’un lendemain meilleur  pour les professionnels du cinéma de ces pays.

La distribution quant à elle, connait une perturbation exacerbée par la crise sanitaire. En effet, La chronologie des médias est une règle qui encadre l’exploitation des films, de leur sortie au cinéma jusqu’à leur diffusion sur les services de la vidéo à la demande (SVOD). C’est-à-dire qu’elle régit la vie d’un film, avec comme objectif d’assurer la vitalité du cinéma et d’optimiser la rentabilité des films. La chronologie des médias détermine pour chaque mode d’exploitation à quel moment les films peuvent être diffusés et combien de temps avant qu’un autre mode d’exploitation entre en concurrence. Diffuser à la télévision ou sur une plateforme de streaming une œuvre cinématographique après sa sortie en salle obéit donc à des délais précis, qui vont de 4 mois après sa sortie en salle pour VOD à l’acte à 48 mois pour les services de VOD gratuits. Si elle est consacrée en France par une loi, cela n’est pas le cas dans d’autres pays qui laissent plutôt les accords entre les acteurs de l’industrie cinématographique prendre le dessus. Déjà remis en cause depuis quelques années à cause de la numérisation croissante des modes de diffusion des œuvres culturelles, ce concept a beaucoup souffert de la crise sanitaire. Les salles étant fermées, l’économie du cinéma ne pouvait continuer d’exister que par le biais des autres modes de diffusion. Des dérogations ont donc été accordées par voie légale dans les pays où c’est nécessaire et des arrangements ont été réalisés dans les pays qui le permettent afin de satisfaire les besoins des populations dont la mobilité a été réduite par les mesures de confinement. Le principe même de ce concept étant déjà interrogé par certains professionnels avant la crise, il est probable qu’il fasse l’objet de réforme profonde grâce ou à cause de la crise sanitaire du coronavirus. De plus, les sorties de films prévues sur la période ont été reportées. A la réouverture, des embouteillages sont à anticiper. Il va falloir faire preuve de créativité pour gérer tous les flux des sorties de films reportées et celles qui sont normalement programmées pour la période de reprise.

La production n’a pas été épargnée la crise. Il ne pouvait en être autrement. Comment réussir à intégrer les gestes barrières sur les plateaux de tournages lorsque l’on connait les contraintes de proximité et d’interactions que requièrent les différentes professions impliquées dans les tournages. Le télétravail n’est pas non plus envisageable pour ces professions. Du coup, l’on a assisté à l’arrêt brusque des tournages. Les coûts en jeu sont colossaux et les assureurs auront du mal à les couvrir : les décors abandonnés, les comédiens démobilisés, les équipes techniques congédiées, les périodes de location de matériels expirées, les livraisons de films différés. Les comédiens, surtout les stars, dont les agendas sont extrêmement chargés, auront du mal, une fois démobilisés, à trouver de nouveau créneaux pour la poursuite des tournages qui auront été abandonnés. La gestion de tous ces dysfonctionnements exigera de la bonne volonté de la part de toutes les parties lorsque l’on connait les budgets en jeu.

En ce qui concerne la postproduction, c’est le maillon qui se prête le mieux au télétravail. Pourtant l’on a noté un arrêt dans les activités de montage, de doublage et de sous-titrage dans plusieurs pays. Par contre, on pourrait émettre l’hypothèse que la période post covid 19 sera féconde en scénarios, vu le temps dont disposent les scénaristes pour s’adonner à leurs tâches.

Lire aussi : Covid 19 et culture : impacts et perspectives de sortie de crise 3/8

Impact sur la demande

La demande de films provient des ménages, qu’elle s’exprime en salle ou à domicile. Comme noté plus haut, la demande en salle s’est arrêtée du fait de la fermeture des salles, celle à domicile a connu une croissance exponentielle. A titre d’exemple, Netflix compte désormais 183 millions d’abonnés dans le monde, avec une hausse spectaculaire de 16 millions de nouveaux clients lors du premier trimestre de 2020.  Dans son rapport financier trimestriel, le géant du streaming explique avoir plus que doublé ses prévisions pour les trois premiers mois de l’année, qui était de 7 millions de nouveaux clients. Ainsi, avec 16 millions de nouveaux clients entre janvier et mars 2020, Netflix a élevé son nombre d’abonnés à 183 000 000. Il s’agit pour Netflix de la plus importante augmentation d’abonnés sur trois mois en 13 ans d’histoire. Par ailleurs, la plateforme américaine a triplé son bénéfice au cours des trois premiers mois de l’année 2020 par rapport à la même période de l’année précédente, atteignant 709 millions de dollars. Le groupe préfère rester prudent et estime qu’avec l’assouplissement du confinement, un sérieux ralentissement pourrait être observé. En ce sens, Netflix prévoit 7,5 millions d’abonnés supplémentaires au second trimestre.

Outre cet opérateur majeur, d’autres plateformes ont également tiré leurs épingles du jeu. C’est le cas notamment des plateformes de streaming telles  Amazon Prime video, OCS, Filmo TV, La Cinetek, MUBI, UniversCiné, etc. De nouveaux acteurs, à l’instar de  Disney+,  sont nés sur la période et souhaitent participer à la riposte contre le coronavirus en diversifiant les offres.

Ainsi, alors que les salles de cinéma ont fermé leurs portes, les cinéphiles se sont donc tournés vers les plateformes de streaming vidéo pour passer le temps et assouvir leurs envies de films et séries. Cette nouvelle habitude, exacerbée pendant cette période, va-t-elle durablement chambouler le mode de consommation du cinéma dans le monde ? Rien n’est moins sûr, si l’on prend en compte l’occasion de sortie que constitue le cinéma en salle. Le partage d’émotions que favorisent les salles obscures ne sont pas substituables par les soirées solitaires passées devant son petit écran. La réouverture des salles est attendue par les amateurs des écrans noirs. C’est dire que l’exploitation en salle bien qu’ayant accusé le coup pendant cette période de pandémie, ne perdra pas la totalité de ses adeptes, même si le retour du public en salles risque d’être progressif avec des capacités d’accueil plus réduites au niveau des salles.

Lire aussi : Covid 19 et culture : impacts et perspectives de sortie de crise 4/8

Perspectives de reprise

Le processus de déconfinement est enclenché dans plusieurs pays. L’exploitation en salle devra également redémarrer à court terme, en tout cas pendant l’été, afin d’accompagner le plan de sauvetage de la saison touristique. Le reste de l’industrie, surtout la production, devra trouver le moyen de prendre en compte l’existence du coronavirus dans ses modes opératoires. Ce sera un véritable défi pour les équipes de tournages notamment.

Comme à l’accoutumée, les perspectives de reprises seront articulées autour de trois schémas possibles. Cette analyse porte uniquement sur les revenus Du box-office qui constitue – pour l’instant en tout cas – la principale source de revenus du cinéma. Les courbes de revenus sont ici identiques à ceux des arts du spectacle.

Scenario 1 : Courbe des revenus en forme de L (pessimiste) : Interdiction de réouverture des cinémas à court terme

Il est possible que les salles de cinéma restent fermées encore pour quelques mois, si les clusters de contagions se multiplient. Dans ce cas, la courbe restera aplatie pendant toute la période de prévalence du Covid 19. Elle prendra la forme de la lettre L.

 

 

Graphique 1 : Revenus  des arts du spectacle vivant en cas d’interdiction de réouverture à court terme

 

Légende :

Après avoir connu un arrêt brusque en mars 2020, le chiffre d’affaires de l’industrie du cinéma reste au plus bas pendant quelques mois, sous l’effet de la non réouverture des salles.

 

 

 

 

 

 

Scénario 2 : Courbe des revenus du box-office en forme de la lettre V légèrement aplatie (optimiste) : reprise des projections à court terme

Avec la reprise des activités économiques, les salles de cinéma pourraient être autorisées à rouvrir mais sous la contrainte du respect des gestes barrières tels que le port de masque ; la désinfection systématique des mains et la distanciation social, défection des salles après projections. Les salles devront tourner avec la moitié de leurs capacités respectives, dans le meilleur des cas.

Dans un tel contexte, les salles de cinéma ne connaitront pas leurs affluences d’avant la crise. Les retours en salles seront progressifs et suivront probablement la courbe de diffusion de l’innovation de E. Rogers avec des « innovateurs » (2,5%), des « premiers adeptes » (13%), la « majorité précoces » (34%), la « majorité tardive » (34%) et des « retardataires » (16%). Ces pourcentages sont à appliqués aux nombres de spectateurs antérieurs à la crise.

 

 

 

 

 

Graphique 2 : Revenus  du box-office en cas  de réouverture à court terme

 

Légende :

Les revenus générés par l’industrie cinématographique pourraient redécoller mais compte tenu des contraintes liées à la prise en compte des gestes barrières contre le Covid 19 auront du mal à revenir à court terme à leur niveau d’avant la crise.

 

 

 

 

Scénario 3 : Courbe des revenus en forme de la lettre W (probable) : alternance entre reprises et fermetures

Il est probable que survienne une seconde vague d’épidémie dans la plupart des pays frappés par la pandémie et qui envisagent un déconfinement. En supposant que l’industrie cinématographique redémarre et s’arrête au rythme de cette épidémie, on pourrait anticiper une succession de redémarrages et de chutes des revenus. Il en découle donc une multiplication de la courbe du scénario 2.

 

 

 

 

 

Graphique 3 : Revenus  du box-office en cas  de réouverture à court terme suivie de fermeture

 

Légende :

Les revenus générés par l’industrie du cinéma pourraient redécoller mais compte tenu d’une seconde vague d’épidémie, connaitre des rechutes.

 

 

 

 

Conclusion partielle

Avec ce scénario trouble que vit l’industrie du cinéma, il est indispensable qu’un plan de relance se mette en place pour l’ensemble de la filière. Il faudra aider la machine à se remettre en marche non seulement en stimulant la demande mais aussi en soutenant l’offre à corriger les dysfonctionnements apparus au cours de la crise sanitaire.

La chronologie des médias, assurant la stabilité économique de l’industrie et mise à mal par la crise sanitaire, a entraîné des gains importants au niveau des plateformes de streaming les plus sollicitées. Elles pourraient davantage contribuer à la production de contenu et participer à l’effort de guerre pour la relance de l’ensemble de la filière.

A SUIVRE…….

Par William CODJO, Expert en gouvernance et économie de la culture ©www.noocultures.info

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